🔥 La radicalité comme seule option...- La GS #235
Jellycat stratégie, disrupter Uber, Vol de trafic, la technique du "Opensource", strat de contenu CEO et Escapisme.
Cette semaine, je suis allé aux Galeries Lafayette Haussmann, je traînais là parce que j’avais un peu d’avance pour un rendez-vous.
Il y a 10 ans je sautais l’étage “kid” mais aujourd’hui trouver des jouets pour les enfants, enfants d’amis, neveux et nièces est une activité non négligeable dans ma vie.
Quelle ne fut pas ma surprise de tomber sur ce stand :
Un stand de peluches Jellycat sous forme de fausse pâtisserie, avec des faux pâtissiers qui font semblant de faire à manger.
C’est quoi ce bordel ?
Voilà ce que me dit ChatGPT à ce sujet :
La marque de peluche Jellycat a lancé une campagne marketing originale en proposant des stands thématiques où elle distribue de la fausse nourriture sous forme de peluches. Cette initiative vise à créer une expérience immersive et ludique pour les visiteurs, en transformant l'achat de peluches en un moment interactif et mémorable.
Ok, et bien analysons cela 🤓
La mécanique
Encore un coup de com’ complètement WTF, qui utilise les mêmes mécaniques que le DJ set dans une boulangerie de Bob Sinclar, que j’ai détaillé dans cette édition de la newsletter (copier/coller).
Même résultat pour cette campagne, c’est parti viral sur les réseaux sociaux, accentuant le désir de venir faire la queue pour acheter sa fausse pâtisserie (et de pouvoir partager à son tour la vidéo de son “expérience” dans sa propre stratégie de contenu)
Voyez par vous-même 👇
Des files d'attente… sans enfants
La première chose qui frappe quand on observe ces stands Jellycat ,c'est l'absence quasi-totale d'enfants. Ce sont des adultes, principalement des femmes entre 20 et 35 ans, qui font la queue pour acheter ces peluches.
On a beau être à l’étage “Kid” des Galeries Lafayette, ce dispositif théâtral ne vise pas les enfants, pourtant consommateurs traditionnels de peluches, mais bien une clientèle adulte urbaine et connectée.
Double Regressive ROX
La clé du succès de cette opération réside d'abord dans le phénomène "Heal Your Inner Child" (soigner son enfant intérieur) qui a explosé depuis 2020 (et le covid). Cette tendance consiste à renouer consciemment avec les plaisirs simples de l'enfance comme forme d'auto-thérapie dans un monde anxiogène, où acheter une peluche devient un acte délibéré de reconnexion émotionnelle.
Mais ce qui amplifie considérablement ce phénomène, c'est sa collision avec une autre tendance : le "Treat Yourself" (fais-toi plaisir) qui a été popularisé selon moi à l’époque de “Sex and the City”, où Carrie Bradshaw s'achetait des Manolo Blahnik après chaque déception amoureuse.
Cette tendance transforme l'achat impulsif en acte d'auto-gratification légitime, presque thérapeutique.
Cela marche particulièrement avec les marques de Luxe, où la justification de l’achat, a priori difficilement justifiable, vient se nicher dans ce petit “coup de folie” de consommation pansement.
Cela tombe bien, les peluches Jellycat sont non seulement inutiles (fonctionnellement parlant) mais en plus elles sont positionnées premium, plus chères que les autres marques.
On peut appeler cette mécanique le Double Regressive ROX : un mouvement d'aller-retour entre l'adulte qui se récompense et l'enfant intérieur qui retrouve la joie simple et rassurante de l’expérience. Cette dynamique crée une boucle de satisfaction émotionnelle particulièrement puissante, générant un Return On Experience (ROX) double puisqu'elle satisfait simultanément deux besoins émotionnels profonds qui s’auto-alimentent.
La cible est clairement identifiée comme : une femme entre 18 et 34 ans qui vit dans ou proche d'une métropole - exactement le public qui fait la queue chez Jellycat.
Du Branding au "Brandtertainment"
Ce que fait Jellycat avec sa pâtisserie s'inscrit dans l'évolution du marketing expérientiel vers ce que j'appelle le "Brandtertainment", fusion du branding et de l'entertainment, qui vient maximiser le ROX.
Cette approche permet d'aligner parfaitement :
Les valeurs de la marque
Ses attributs de différenciation
l'expérience proposée
On ne paie donc pas seulement pour la peluche, mais pour tout le rituel d'achat théâtralisé, la vidéo qu'on va pouvoir partager comme “monnaie sociale”, et le sentiment d'appartenir à une communauté d'initiés.
Cibler Margaux pour toucher tout le monde
Le paradoxe du marketing ultra-ciblé
Voici ce qui me fascine le plus dans cette stratégie : en créant une expérience aussi spécifique et radicale que leur pâtisserie, Jellycat a visé une cible très précise, mais l'impact s'étend bien au-delà.
C'est le paradoxe de cette hypothèse du marketing ultra-ciblé radical : plus vous êtes spécifique et "étroit" dans votre ciblage, plus paradoxalement votre audience potentielle s'élargit.
L'idée fondamentale est qu’une marque doit d'abord créer un produit parfait pour sa "Margaux", le client idéal qui se trouve exactement dans la cible. Pour Jellycat, c'est cette jeune femme urbaine qui valorise les expériences Instagrammables et qui trouve du réconfort dans l'achat de peluches mignonnes.
Mais autour d'elle se trouvent trois cercles concentriques de clients potentiels :
Au centre du bullseye (les "Margaux") : Les fans absolus qui font la queue pendant des heures, partagent frénétiquement leur expérience sur TikTok et collectionnent ces peluches.
Dans le premier cercle (les "Caroline") : Des personnes qui partagent la plupart des valeurs et préférences des "Margaux" sans être autant passionnées. Elles visiteront peut-être le concept une fois par curiosité ou achèteront en ligne.
Dans le cercle extérieur (les "Yann") : Des gens comme moi et peut-être vous, qui ne feraient jamais la queue pour acheter une peluche gaufre qu'un vendeur fait semblant de cuire, mais qui ont maintenant entendu parler de la marque et la considéreraient sérieusement pour un cadeau.
Le jour où je dois acheter un cadeau pour un enfant, Jellycat aura marqué tellement de points dans mon esprit que je choisirai probablement leur marque plutôt qu'une autre.
L'effet "la marque qui..."
Ce positionnement mental est inestimable. Jellycat devient "la marque qui fait des peluches pâtisseries" dans l'esprit collectif. Cette association forte et unique la distingue immédiatement parmi des centaines de marques de peluches.
Et c’est un peu ça le problème de la plupart des marques si on veut être simpliste.
Personne n’est capable de dire en une phrase la spécificité reconnue de la marque.
Une fois que vous établissez cette position mentale forte, même les personnes qui ne font pas partie de votre cible directe vous connaissent et vous considèrent.
L’amplification par le "WTF cohérent"
Ce qui semble être un coup marketing délirant et ultra-niché peut en réalité devenir le meilleur vecteur de notoriété et de désirabilité pour une marque entière.
C'est ce que j'appelle le "WTF cohérent", est l’idée de proposer une expérience suffisamment étrange pour attirer l'attention, mais parfaitement cohérente avec l'identité de la marque. D’être des jusqu'au-boutistes radicaux quoi.
À emporter
Que pouvons-nous retenir de cette stratégie expérientielle ciblée ?
Osez être ultra-spécifique : Ne craignez pas d'être trop niché ou trop radical. C'est précisément cette spécificité qui vous rendra mémorable au-delà de votre cible.
Construisez pour votre "Margaux" : Identifiez votre client idéal et créez une expérience parfaite pour elle, sans vous soucier de plaire à tout le monde.
Pensez en termes de "shareable moments" : Concevez chaque élément de votre expérience comme un potentiel contenu viral que votre "Margaux" voudra partager.
La cohérence avant tout : Assurez-vous que votre expérience, aussi décalée soit-elle, reste parfaitement alignée avec votre identité de marque.
Créez une position mentale claire : Visez à devenir "la marque qui..." dans l'esprit des consommateurs, surtout pour ceux qui ne sont pas votre cible.
Dans un monde de messages marketing génériques et interchangeables, l'ultra-spécificité devient paradoxalement votre meilleur atout pour une portée élargie. Jellycat transforme ici l'achat d'une simple peluche en une expérience qui impacte tout le monde, même ceux qui n'y participeront jamais.
Bien joué 👍
📣 Comment construire une marque qui sort du lot ?
C’est la question à laquelle j’ai essayé de répondre pendant des années.
J’ai testé toutes les méthodes de branding existantes, lu tous les livres sur le sujet et expérimenté sans relâche...
Pour formaliser tout cela, j’ai créé une Masterclass Branding dans laquelle je retrace ce parcours initiatique. J’y explique ce qu’il y a de bénéfique dans chaque méthode, comment éviter les pièges que j’ai rencontrés, et ce qui est réellement important pour bâtir une stratégie de marque (vraiment) efficace et différenciante.
🤓 Dans la rubrique "Pêle-mêle"
Le nerf de la guerre pour Uber et consorts, ce sont les chauffeurs. C’est eux qu’il faut avoir pour maîtriser le marché. Dans cette optique, une startup est en train de les défier en Inde avec un angle qui va dans ce sens : les chauffeurs ne paient aucune commission sur les courses.
Une technique de filou pour voler le trafic des clients potentiels de vos gros concurrents (voire plus large) 🤫.
Certaines boîtes sont OpenSource par conviction, mais vous pouvez aussi l’être par cynisme stratégique.
J’avais déjà parlé du lancement de la chaîne Youtube FR de Guillaume Moubeche
sur les formats “storytelling/behind the scene” sans montage, où il partage son expérience et ses réflexions de façon cash.
Je suis assez d’accord avec Théo Lion sur le sujet, qui vient lui aussi de lancer une chaîne équivalente :
Le contenu francophone entrepreneurial a été laissé depuis trop d’années aux infropreneurs “make money” sur la plateforme reine : Youtube.
Créant ainsi une demande forte pour l’accès aux pensées et conseils honnêtes de CEOs légitimes sur les sujets business/startups.
C’est sûrement ce que s'est dit aussi Grégoire Gambatto qui fait un comeback sur Youtube avec la même stratégie de contenu, et avec une fréquence quotidienne assez ambitieuse. 🇫🇷👇
😱 Escapisme
Le sujet a été effleuré dans la première partie de cette newsletter, les conséquences sur la consommation d'un monde perçu comme de plus en plus anxiogène, injuste et un sentiment d'impuissance.
Nikki Reen parle d'un mécanisme collectif d'évasion mentale, d'une épidémie d'escapisme. Et le Double Regressive ROX que l'on a évoqué en est une conséquence.
Mais cela concerne beaucoup plus de secteurs d'activité qu'un petit achat régressif de peluche :
Wellness marketé comme santé, mais vend de l'esthétique (et de la culpabilité)
Sports betting chez les hommes : nouvelle addiction sociale
OnlyFans / dating apps : illusion de lien vs vraie solitude
Décoration = compensation d'impossibilité d'acheter
Animaux domestiques au lieu d'enfants : maternité reportée (voire abandonnée)
Etc.
On s'éloigne de la réalité et donc des solutions long terme.
Cliquez sur l’image pour en savoir plus 🇬🇧 ⬇️
Keep it curieux ! 🤓
— Yann